Un petit plus dans le quotidien

L'Humain forme un troupeau facile à gérer, si l'on si prend bien. Tout est question de dressage, quel que soit l'animal. Parce qu'il faut gérer, c'est un verbe en expansion. "On gère"... tout, des projets (ah, oui ! N'oubliez pas d'avoir des prooojets ! sans, vous êtes inexistants, asociaux, dépressifs, exclus) et on "gère" les naissances, les deuils, la santé, la nature...la vie. Toujours au nom du bien, le nôtre ; au nom de l'aisance, la nôtre ; au nom du confort, le nôtre ; au nom de la rapidité au nom de leur temps au nom de leur programme ; au nom de l'intérêt qui ne sera jamais le nôtre.

La progression est leur alliée patiente. Alliée que l'on nous a fait penser lente quand elle pulvérise tous les records de vitesse depuis l'intrusion du rapport financier sous ses jupes de plus en plus courtes et exhibitionnistes. Plus l'on voit ses jambes, moins on les voit.

Il fallait soulager la peine, éponger la sueur, le "projet" était précieux et peut l'être encore ici ou là dans le monde mais, comment se calcule le mieux, sur quelle base ? Qu'est-ce que le moins bien ? Qu'est-ce que la peine ? Quelle quantité de sueur est-elle admissible ? Petit à petit, on nous a fait renoncer à l'effort simple qu'est la vie en voilant discrètement qu'il est l'engrais naturel et universel indispensable à tout semis.

Ce n'est rien, ce n'est qu'un petit plus dans le quotidien, une petite facilité agréable, ludique même dans les labeurs. C'est amusant, c'est presque magique, ce petit geste qui en supprime tant d'autres et la réflexion. Cet acte anodin émerveillant l'oeil enfantin qui ne meurt jamais en soi et attire ainsi qu'un papillon de nuit vers la flamme qui va l'occire. Et de magie en magie, de jeu en jeu sur le je en je, lever le bras vers les branches du pommier devient ringard comme un tombereau tiré par un boeuf. Nous les aurons voulues, l'uniformisation et la prison digitale, parce que nous les aurons acceptées. Parce que nous aurons cru que l'évolution n'a qu'un sens et oublié que l'ascension ne tient que parce que le déclin lui fait conversation.

Il y a eu les compteurs dits intelligents et leur imposition à laquelle nous sommes peu à n'avoir pas cédé. Cette chose a titillé le cerveau de quelques uns, a agacé, quelque uns encore se battent contre l'objet malsain mais, ce n'était pas à ce point le début, ce point-là était un départ d'étape. Une nouvelle étape après moult aussi discrètes que vicieuses et avant l'épilogue numérique. 

Tout commence avec la translation de l'effort source de vie vers un soi-disant bien commun articulé sur la déformation des définitions du bien-être, de la vie, de la mort et de tout ce qui s'accroche à leurs troncs. Au nom de la jeunesse aussi ! Parce que vieillir c'est moche, c'est honteux, et mourir est une insulte au cadre rutilant de l'ignorance faisant la nouvelle reconnaissance de l'humanité. On a pervertit les mots, on les a démontés et remontés à l'envers, et la nouvelle langue est devenue pâteuse. 

Avez-vous remarqué comme on crée des groupes distincts en nous enfonçant d'un même coup de pioche dans l'intelligence la nécessité d'uniformiser tout ce qui vit et tout ce qui ne vit pas : vous faites partie d'une portion à particularité, donc vous devez entrer dans le format rigide décidé pour cette portion, et toutes les portions particulières doivent, ensemble, entrer dans le format général qu'on universalise, parce que l'universalité, ça le fait, c'est un mot puissant et séduisant, peu importe son sens. Chacun sa boîte dans la boîte, et l'on scelle la construction d'un coup de langue où le galipot a remplacé la salive.

Tout se tient. En facilitant tout et n'importe quoi, jusqu'à la carte sans contact, jusqu'au rétroviseur et son passage en position nocturne automatique, jusqu'à la télécommande pour tout, jusqu'à déclencher le chauffage de son habitation à distance (faudrait pas se peler le derche une heure ou deux, quel acte de barbarie envers soi-même ce serait !). On dit que le diable se cache dans les détails... mais cela fait longtemps qu'il ne se cache plus ; et l'humain est devenu un détail, c'est le troupeau qui compte s'il rapporte à ses gardiens. On lui a vendu nos âmes, le diable mange nos corps. Et non, l'enfer n'est pas pavé de bonnes intentions, il est pavé des pires intentions qui soient sous le lustre de la conformité. 

Marie HURTREL
23/12/2021