Bracelet blanc

Un sujet parasite presque toutes les conversations, qu'elles soient amicales, professionnelles ou de hasards polis. Il n'est pas utile de nommer le dit sujet qui inonde internet, la rue, le voisinage, la ville et la campagne.

Il y a la vie, et ce rémora qu'on nous impose en habitude nouvelle et s'accroche entre nos "ça va", les "quoi de neuf", "passe-moi le pain", "il fait frisquet ce matin", "que devient Suzanne ?".

C'est suant mais, pas que.
Vient une interrogation, un étonnement.

De loin en loin puis de près en près, j'entends ce qu'on appellerait des témoignages et ressemble davantage à des appels à savoir, à en savoir davantage et connaître le pourquoi du comment mais semblent plutôt des tentatives de rencontrer des histoires communes, d'où l'intégration systématique du sujet dans la moindre conversation.

C'est arrivé une fois, puis deux, trois, et encore, encore. Pas de cesse. Des personnes racontent un décès d'un proche à l'hôpital et disent qu'on a inscrit covid sur le triste bracelet blanc closant le débat de l'espoir. Cette inscription est fausse selon elles, leur proche est parti de tout autre chose, leur départ était prévu et attendu dans la normalité d'une maladie qui bouffe le corps et pour laquelle les traitements n'étaient plus que palliatifs. Ces personnes ont interpellé les soignants qui ont inscrit ce mot à la mode sur le bracelet blanc, elles ont pensé à une erreur, on leur a dit que non. Elles ont réclamé, ont demandé qu'on écrive la vérité, certains ont même arraché le bracelet. Elles ont demandé pourquoi, on leur a répondu. Il paraît que c'est le système D qui le veut, parce que l'hosto manque de moyens, qu'il faut comprendre et que cela ne change rien pour le défunt, qu'il ne faut pas se prendre la tête.

Certains ont tenu bon, le bracelet a été changé ; juste le bout de plastique blanc changé, ce n'est pas un cahier. D'autres ont seulement pleuré et se sont tus, ils racontent comme ça maintenant, parce que ça déborde.

Il y en a qui ne dorment plus, partagés entre compréhension et colère ; il faut aider, c'est un moyen mais, ne serait-il pas plus efficace d'arrêter tout, partout, jusqu'à la vérité, qu'on la donne pour de bon, disent-ils. Ils ne parlent plus de la vérité des bracelets mais de la réalité et des raisons qui font le traitement de nos vies comme celle d'un bétail insignifiant.

Sans jugement.

Marie HURTREL
19 mars 2021