Lenteur des pas
Mais quel est ce poids qui ralentit maintenant mon pas. Je n'ai plus de mur, qu'un horizon lointain qui apaise le regard. Plus aucune contrainte ne vient du premier nid clos, alors que se passe-t-il encore.
Dans ma terre nouvelle il y a comme une lise piégeant ce qui passe. Pourquoi tant de mal sur la terre, la nouvelle serait-elle pire que l'ancienne. Comment ferais-je pousser mes fleurs si fragiles si je ne trouve pas le ver qui hante sous le sol le coin de leurs racines. Est-il possible qu'il se passe quelque chose que j'ignore. Comment retrouver des certitudes qui font avancer alors que les coups pleuvent comme jamais. Mais suis-je la seule à les recevoir, quelle entité dois-je prier pour qu'il en soit ainsi.
Il faut que je déploie largement mes ailes pour les poser en bouclier sur les pousses vertes. Elles seront privées de la pluie nourricière de l'été mais je les protègerai. Les fleurs pousseront, chétives, malingres, sans soleil et sans eau, mais elles grandiront un peu au moins. Il faut que je sauve leurs pétales même si je dois faire pâlir un peu leurs couleurs.
Qu'ai-je d'autre comme solution de toute façon. Je ne sais pas, je n'arrive pas à faire sauter la couche de mauvais sucre brûlé.
C'est la jeune herbe en moi qui brûle. L'enfant aux mille misères qui accompagne. Il s'est réveillé. Il ne saurait aimer tant qu'il n'aura pas une liberté consciente de haïr l'autre côté du pont.
Je crois savoir aujourd'hui vivre avec mes blessures, invisibles. J'essaie du moins. Je m'arrange avec elles et y puisent aussi ma force parfois. Mes terres dévastées reçoivent aussi les rayons du soleil, seulement ils peuvent me consumer par instant tant je cherche à créer de calme, défendant contre moi-même une sérénité acquise si chèrement. Mais ce ne sont là que les turbulences de ma sensibilité. Pourtant, c'est si fort. À chaque remous je crains de ne pouvoir rejoindre la rive, et la rejoins toujours finalement, mais là…Là est encore un passage, comme un autre, difficile c'est certain. Mais le temps fera à l'affaire évidemment. L'envie d'écrire, parce que de dire, mais l'écoute n'existe pas, pas pour le désir de crier une souffrance illégitime aux yeux d'autres. J'ai tenté de me livrer un peu, rien ne me fera poser des mots clairs, ni ici, ni ailleurs. Mais qu'importe, j'attrape ma douleur pour en faire un modelage, et l'œuvre achevée trônera parmi d'autres, belle et définitive. Mais si le travail est acharné, la matière est difficile et il me faut sculpter dans le temps.
Que de claques je prends, que de retours à la réalité. Je ne sais pas les mots convenant à la chose. Cette chose qui mine n'est pas plus chose qu'être, vivant ou fantôme. Un sentiment étrange qui plombe mes pas posés un à un, dans la brume. Je cherche un chemin tendant les mains vers le vide. La route ne se dessine pas, le silence me baigne, de nuit noire ou crépuscule voilé, la moiteur m'envahit.
C'est ma chance, l'œuvre se dégrossit.
© Texte déposé - n°UGZ238C