Pourquoi pas la poésie
On me dit, lors d’une discussion fort courtoise, que la poésie a les moyens de vivre ailleurs qu’en édition classique, puisque le produit est mauvais (au sens commercial entendons-nous). Que la blogosphère et l’impression numérique lui offre la possibilité de vivre.
Je voulais répondre en privé, mais j’ai plutôt envie d’exprimer ici mon sentiment et mes constats, puisque le sujet est déjà un peu soulevé sur mon mur Facebook et celui du talentueux poète Paul Nwesla.
La blogosphère c'est de l'éphémère, c'est un éclair et plus rien. La poésie ne peut pas vivre là, elle ne fait qu'y passer péniblement entre les expressions enrubannées des journaux intimes où elle n'a pas sa place, parce que la poésie ce n'est pas cela, ça ne l'a jamais été mais la confusion est tenace puisqu'on met facilement dans le même pot les deux. Ceci bien souvent, il n'y a qu'à lire dans les commentaires pour s'en rendre compte. Il suffirait pourtant de se pencher un peu, même pas beaucoup, un peu plus sur ses pages pour la discerner.
Quant à l'impression numérique dont on suggère également l’usage, je ne sais trop quoi en penser. Je lis impression, mais imprimer n'est pas accessible à tous, je lis numérique, ce n'est pas accessible à tous non plus, et les poètes ne sont pas nécessairement les mieux outillés. Mais y aurait-il un espoir ici ? Ou ne serait-ce encore que ces pseudos éditions qui acceptent tous les clients qui en ont les moyens, bien que nous sachions tous que talent et argent ne sont pas greffés sur le même scion.
Mais je comprends que dans un monde d'argent, la poésie ne puisse aller autrement que mal, c'est invendable, on ne peut pas reprocher à un commerçant de refuser de proposer à la vente un rossignol. Elle est inaccessible, opaque, élitiste, ésotérique, pour beaucoup, ça ne vaut pas le tour de rein pour la cueillir et pas la harangue pour la faire connaître.
C'est dommage, mais les poètes ont conscience pour la plupart de cet état, ça ne nous empêche pas d'écrire, sur le vent hélas. Les poètes ne sont pas ce que la généralité en fait, et la poésie est ignorée parce que confondue, c'est une prétentieuse ridicule qui ampoule le mot à l'heure de la gouaille. Anachronique.
Il faut aussi que les poètes gardent leur poéthique en tête, écrire en poésie est un acte qui ne peut rouler des hanches place de la Madeleine. Sinon la poésie mourrait, d’une autre façon, mais ce serait aussi lui nuire.
Et puis il y a tant de poètes sous terre à lire que les vivants ont bien le temps.
Le poème main tendue et peu importe la courroie de transmission, ce n'est pas un argument, si, c'est celui qui démontre qu'il ne s'agit que d'argent, surtout pas de talent.
Car si on peut dire "peu importe la courroie de transmission" il en faut une, quelque soit le genre, et ce n'est pas toujours le cas. On enterre la poésie quand le poète ne peut pas la fabriquer ou se l'offrir.
La poésie en souffre, et c'est dommage. La diffusion sur internet n'est rien et beaucoup ne l'ont pas, ou si peu et pas chez eux (pas d'ordinateur et pas d'imprimante, pour reprendre l'idée d'imprimer chez soi), c'est le cyber-café ou rien. Et être obligés de se payer cette courroie, fait que des écrivains ne pourront jamais se faire lire à plus de deux ou trois personnes. Mais sans doute est-ce suffisant quand on tend une main, les amis ne se comptent pas au-delà, chacun sait.
La poésie est reléguée au peu importe que tout le monde ne peut se permettre. Parce qu'elle est associée dans l'idée à autre chose que de la poésie, c'est évident. On la dit obscure, elle est méprisée je pense, pas lue, pas connue. Abandonnée sur les bancs de la fac avec cartables et souvenirs de taupe (pas trop taupes ici, c'est juste pour l'image). Pourquoi ?
Serait-ce un art mineur malgré la difficulté ?
Au fait, je ne tends pas la main avec mes poèmes, je partage car écrire c'est parler au monde, je ne tends rien, mais j'ai dû louper quelque chose.
Me vient une idée, si on lançait la mode ? La poésie indispensable produit de l'homme moderne, et voilà qu'on ne sortirait plus sans son portable et son recueil, au risque de paraître ringard... ah, la poésie roulant des hanches et clignant de la rime... non, surtout pas ! pas elle.
Nous sommes quelques uns, peu en fait, à avoir tenté de proposer des commentaires critiques sur un ou des forum (sans s merci), sans suite réelles. Hélas.
Mais commenter n'est pas si simple, ce n'est pas juste donner un avis au survol, il faut lire, relire, vers à vers, entendre le poème, revenir si décantation est utile. Il faut comprendre, pas nécessairement dans la ligne de ce que voulait dire le poète, mais donner un sens à la lecture. Il faut sentir le rythme, palper les aspérités, toucher les couleurs.
Commenter peut prendre du temps, quand laisser une impression prend trois secondes. Alors ces commentaires peuvent être encenseurs, pour dire quelque chose je suppose. J'en ai fait des creux aussi, mais on peut encourager sans blesser, tout est dans la tournure, j'essaye. J'estime que ce sujet est important, pour la poésie, pour les poètes. Toute opinion vaut. Je ne suis pas trop mordante peut-être parce que dans le tas des commentaires j'en lis des consistants (en privé aussi, je ne sais pas pourquoi certains ne commentent pas en public, car c'est utile aux autres poètes lecteurs je pense).
© Marie Hurtrel