Du jugement en poésie
-Pour moi, l'amour humain ne s'apprend pas, disons qu'il évolue et aimer se retrouve alors lié à des émotions qui peuvent ne pas être les mêmes toute une vie. La vision de l'Homme change par l'expérience, les coups reçus et les cadeaux offerts (je ne parle pas de cadeaux matériels), sans pour cela qu'il y ait une implication en terme de conscience (elle peut être cependant). C'est un cheminement qui amène à cueillir différemment les fleurs offertes par la vie tout au long de son court.
Quant à la poésie, je crois aussi que c'est en acceptant de s'y attarder qu'on invoque la rencontre, et cette dernière peut alors être.
Souvent je lis que la poésie serait obscure, mais c'est comme pour tout, ce qu'on ignore est forcément obscur et complexe, comme les maths, une langue étrangère qu'on qualifie de difficile tant que l'on n’a pas cherché à s'initier, ou la musique pour laquelle on pourrait se dire non doué alors qu'on n'a pas tenté l'apprentissage. Partir avec l'idée d'obscurité de la chose la rend plus obscure encore si elle l'était déjà.
Dans un genre littéraire, outre la qualité du texte dans la forme et le fond, il y a des habitudes qui se forment dans la lecture selon un choix modal (au sens de restriction par ce que l'on est issu du parcours des apprentissages qui ne cessent jamais à mon sens, cela rejoint l’évolution en amour humain donc). On ne choisit qu’en connaissance.
Les poètes classiques sont validés dans l'esprit, qu'on aime ou pas, il est facile de s'engager à les lire et accueillir parce que le posthume les a certifiés aptes à l'être (sans a priori, sans participation de l'appréciation dans la démarche de découverte).
La poésie est émotion, bien sûr, elle va chercher l’émotion par sa musicalité autant que le sens, ce qui remue et touche le lecteur. Parce que la poésie est vivante, elle joue sur les cordes d’un instrument propre au lecteur, sur une partition écrite par le poète mais chacun peut interpréter selon son bagage émotionnel, comme en musique quand on transpose pour lire dans les différentes tonalités des instruments.
Aimer ou pas n’est pas un jugement, c’est un ressenti, on peut juger de la qualité mais pas du style en tant que couleur, c'est-à-dire que le tissu poétique se doit d’être cohérent de forme et de fond, toujours à mon sens, ce qui n’implique pas qu’on soit touché par un poème.
Il est vrai aussi qu’une seule lecture ne suffit pas, parce que, outre la compréhension qui peut peiner à se faire, il y a la position de découverte qui n’induit pas un enthousiasme systématique et spontané, par le fait de l’entrée hors des habitudes de lecture pour redire l’idée de leurs existences.
-Pour ce qui est de la poésie classique nous avons des enseignements, mais la littérature est en perpétuelle évolution, ce qui paraît comme déstructuré un temps prend forme en affirmant une nouvelle structure, et même dans la poésie libre dont la liberté reste apparente puisque le poète s'attache à écrire selon des règles qu'il se crée et finit par s'imposer, même sans intention originelle et même en cherchant à développer un système d'écriture en enrichissant sa plume tout au long de son parcours poétique (Cela est-il la maturation de la plume ?) Je crois...
Alors, juger dans la cohérence avec ce qui existe déjà et avec l'ouverture sur la découverte par le poète du possible dans la création, comme dans toute création. C'est un art, et, pour moi, la liberté en est essence même, dans la dimension des choix. Ce qui ne contredit pas le fait que le poète finit par se donner des règles, comme un peintre a une palette particulière. Comment dire si un poème "tient la route" ou pas... c'est subjectif. Mais ce n'est-ce pas pour tout la même chose ?
© MH